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Valaero - Récits & Photos

#FactAero :
How to faire passer la charge lorsque LFML est en config 13L ? 🥵

C’est aujourd’hui au tour de Romain (aka @CannizzaroRoma1), superviseur des Opérations Aériennes chez Corsair de nous livrer son premier thread Aero. Avec son accord, le voici transformé en article !

Il faut d’abord poser le contexte : l’aéroport de Marseille – Provence (LFML) dispose de deux pistes non sécantes, l’une d’une belle longueur, la 13L/31R, principalement utilisée pour les décollages et atterrissages et la plus petite, la 31L/13R utilisée principalement pour le trafic VFR.

Je ne vais donc pas m’étendre sur la 13R/31L qui est non balisée, n’a pas la même résistance de piste, bref, on ne s’y pose pas avec un A330-900 (on pourrait, j’en connais qui s’y sont posés en A340-300, mais ils n’avaient pas fait attention que la grande était fermée 🥲)

Sur le papier, la 13L/31R est parfaite. Elle dispose de distances de décollage et d’atterrissage très confortables, la résistance de piste permet de s’y poser au moins en Antonov 124 ou en B747-400 sans labourer le revêtement et dispose d’approches de précision nous permettant d’y poser par faible visibilité (un ILS CAT III en 13L et un ILS CAT I en 31R).

Jusque là, tout va bien. Mais le problème, c’est que ce n’est pas la piste en elle-même qui nous embête… c’est sa situation géographique.

A première vue, on peut se dire que le terrain est idéalement situé, sur les rivages de l’étang de Berre avec une superbe vue sur les usines pétrochimiques de Berre 🥴
Sauf qu’au sud du terrain, en plein dans la trouée d’envol de la 13L se trouvent les superbes montagnes du Rove, appréciées par les autochtones pour les calanques de la Côte Bleue (que je recommande vivement hors saison, d’avril à juin, et en septembre et octobre, mais je m’égare).

Surlignés en jaune sur la carte ci-contre, les obstacles de la trouée d’envol (ce sont les principaux, il y en a bien d’autre en réalité). 
Nous constatons qu’il y a un obstacle culminant à 420ft puis deux sommets montagneux successifs à 692ft et 893ft.

Vous me direz : D’accord, il y a des montagnes.
Mais en quoi sommes-nous impactés vu la longueur de piste disponible ?

C’est là que nous rentrons dans les méandres des performances avion !

Je ne suis pas ingé, je vais donc en parler de façon succincte. Si des pros lisent cet article, à vos claviers : n’hésitez-pas à me corriger !

Je prendrai pour exemple le F-HRNB, Airbus A330-900neo quasi neuf ayant intégré la flotte de Corsair le 31 mars 2021. Il est équipé de deux moteurs Rolls Royce Trent 7000, de beaux bébés délivrant 324kN de poussée chacun au décollage.

Le RNB (l’avion, pas le style musical…) a une limitation structurelle au décollage de 251 tonnes (version des A330-900neo la plus lourde, avec une MTOW/MZFW dynamique, je n’en parlerai pas ici).
Sa masse maximale à l’atterrissage (MLW) est de 191T.
Au-delà de ces limites, la structure pourrait être endommagée.

Airbus A330-900neo F-HRNB pris en photo le 12 février 2021 à Toulouse – Blagnac (LFBO) par @Frenchpainter

Une MTOW de 251t pourrait LARGEMENT suffire à décoller de Marseille et rejoindre La Réunion sans pression.
Il faut savoir qu’un moteur d’avion est assujetti à l’atmosphère dans laquelle il évolue :
température de l’air, pression atmosphérique… Il ne délivre pas la même poussée mais en plus, en cas de soucis au décollage, les pilotes doivent pouvoir interrompre le décollage avant V1 sans sortir de la piste.
L’état de la piste (savoir si elle est mouillée ou sèche) va donc jouer un grand rôle.
De plus, le vent a une influence non négligeable : il faut décoller face au vent pour augmenter la « vitesse air » (la vitesse de l’avion par rapport à l’air) afin d’optimiser la portance et faire que l’avion « s’arrache » de la piste plus facilement.
À savoir qu’en cas de besoin, les A330 peuvent décoller avec 10kts de vent arrière max.

Toutes ces données sont donc compilées dans un logiciel qui va nous aider a déterminer le poids opérationnel maximal au décollage (qui ne peut être supérieur à la masse maxi structurelle, logique me direz-vous !).

Ici, les performances au décollage du F-HRNB sur la piste 24 de Paris – Orly (LFPO) en conditions standards, sans vent et PACKS OFF.
Vous remarquerez que l’on ne peut théoriquement pas décoller à pleine charge en 24, sinon, ça donne quelque chose du genre ⬇️

Pour l’anecdote, il nous arrive aux Ops de prévenir la tour de contrôle d’Orly d’un décollage en 25, où il est possible de passer toute la charge car, malgré le fait que la piste soit légèrement plus courte, il n’y a pas d’obstacle dans la trouée d’envol.

Revenons à Marseille : depuis quelques jours, les vents dominants sont d’est : 100/25KT donc un décollage en 13L est obligatoire.
Vous n’avez pas oublié les obstacles dans la trouée d’envol ? Il faut passer au minimum à 50ft au-dessus de ces derniers.

Voilà ce que ça donne en piste 13L à Marseille (LFML) : Ça fait peur, non ?

Il y a un delta de pratiquement 33 tonnes entre la limitation opérationnelle (RTOW, ou OTOW) et la structurelle (MTOW). Et là, pour passer la charge, c’est coton.

En comparaison, voici la simulation avec les mêmes paramètres en 31R.

Maintenant, avec les paramètres du METAR, on gagne plus de 6 tonnes.
C’est déjà bien, mais pas assez.

Hier, j’avais 32 tonnes de charge à passer et j’avais une MTOW trop lourde de 2T.
De plus, une perturbation au nord-est de Madagascar était active.

Je voulais que les pilotes puissent compléter le delta restant avec du pétrole pour prévoir des évitements : sécurité des vols en priorité.

J’avais plusieurs solutions : optimiser la route pour qu’elle soit la moins gourmande en carburant ou faire débarquer du fret (j’en avais, c’est une chance, des fois c’est des bagages que l’on décharge, mais fort heureusement, cela reste très rare)

J’ai donc optimisé la route, la faisant passer par des espaces aériens très chers en droit de survol mais qui permettent une route plus directe tout en évitant l’Ethiopie qui est en guerre.
En jaune la route empruntée, en gris, la route standard moins chère.

Cette route m’a pratiquement fait gagner 1.5t de charge offerte. C’est bien mais pas assez. J’ai donc appliqué la procédure de « In flight reclearance », permettant de réduire considérablement la réserve de route d’environs 1.2 tonne.

Après 44 calculs et 2h20 de travail, j’ai réussi à faire passer toute la charge avec un delta permettant aux PNT de prendre du fuel pour un potentiel évitement MTO, tout en respectant la règlementation et garantissant la sécurité du vol.

Romain | @CannizzaroRoma1